Une petite journée suffit déjà à se perdre - volontairement - dans l'une des micro-régions les plus boisées et sauvages de l'Ile de Beauté : la Castagniccia. Ce nom évocateur résonne comme une promesse qui s'avère pleinement tenue ; partez avec moi sur les routes sinueuses de la "contrée des châtaigniers", où l'on rencontre la grande histoire insulaire et un patrimoine naturel exceptionnel.
Au sommaire- La Castagniccia, "palais vert" de Haute-Corse
- Sur les traces de Pascal Paoli, de Corte à Merusaglia
- Face aux ruines du Couvent d'Orezza
- Détour par les sources d'Orezza
- Promenade de l'église de Carcheto à la cascade de la Struccia
La Castagniccia, "palais vert" de Haute-Corse
Nichée entre le Centre-Corse, la Plaine Orientale et le Cap, la Castagniccia offre aux voyageurs une parenthèse naturelle renommée depuis des siècles. Son patrimoine se compose avant tout des milliers de châtaigniers qui couvrent son relief escarpé, recèlent de nombreux trésors et entourent sa soixantaine de villages aussi authentiques (et réduits) les uns que les autres.

Au 16ème siècle, puis pour une longue période, les villages de cette micro-région comptaient parmi les plus peuplés de Corse.
Au 18ème siècle, la dynamique économique des communes permit de construire de riches monuments religieux - sur un territoire déjà bien "équipé" en chapelles de style roman. L'église Sainte Marguerite de Carchetu (dont je parle plus bas dans ce reportage) en est un magnifique exemple, tout comme le célèbre Couvent d'Orezza, aujourd'hui en ruines mais toujours aussi photogénique.
Nous voici donc en route pour la Castagniccia, au départ de Corte, pour une journée marquée par l'Histoire insulaire et les découvertes hors des sentiers battus.
Sur les traces de Pascal Paoli, de Corte à Merusaglia
Partis de Corte, l'éphémère capitale de la Corse révolutionnaire, en milieu de matinée, nous avons pris la direction de la Castagniccia par Merusaglia (Morosaglia), village de naissance de Pascal Paoli. Une vingtaine de minutes suffisent pour y arriver en voiture.
Si le nom de la commune ne vous dit rien, celui de son illustre représentant le devrait un peu plus... Car il s'agit ni plus ni moins du "babbu di a patria" ("père de la patrie") en Corse, celui qui dirigea durant près de 15 années la jeune et courte Nation Corse indépendante, au milieu du 18ème siècle.
Corte en soi propose déjà quelques points d'intérêts majeurs en lien avec ce grand homme : un "palazzu naziunale", une statue sur la place éponyme, et même l'Université qui s'est offerte une fresque géante à son effigie lors des célébrations du quarantenaire de l'établissement, en 2021.

Mais Merusaglia abrite ET une statue de Paoli, et un musée à sa postérité, au sein de la maison natale du "sgiò Pasquale". Cet édifice reste ouvert une majeure partie de l'année, avec toutefois des horaires et jours d'ouverture variables... Nous en avons fait les frais la première semaine de la Toussaint, alors que le musée devait être ouvert selon les informations disponibles en ligne.
Nous n'aurons pas vu les objets d'époque ni le tombeau de Pascal Paoli, rapatrié d'Angleterre. Dommage.
Heureusement, c'était un point de passage obligé ; la déception passée, nous avons visité le village puis repris la route pour un autre monument de l'indépendance insulaire.


Face aux ruines du Couvent d'Orezza
Haut-lieu de l'identité corse, le couvent Saint-François d'Orezza se situe à une quinzaine de minutes de route de Morosaglia, en s'enfonçant plus avant dans la Castagniccia. Au détour d'un virage, ses ruines majestueuses se révèlent soudain, sur le bas côté.

Cet édifice religieux bâti en 1485 (sous l'occupation génoise), tombé en délabrement à compter de 1832, a pourtant joué un rôle considérable dans l'histoire de l'île lors de la grande période révolutionnaire. Quelques morceaux choisis pour se faire une idée du symbole qu'est ce couvent aux yeux des insulaires :
- En 1731, les théologiens corses proclament ici la guerre contre les génois "juste et sainte".
- En 1735, les rebelles y font de l'Immaculée Conception la reine et protectrice de la Corse, en faisant au passage sécession avec la République de Gênes.
- Entre 1757 et 1765, Pascal Paoli y séjourne à plusieurs reprises pour descendre à la source d'Orezza.
- En 1790, lors de son retour d'exil, Pascal Paoli y renoue lors d'une assemblée historique avec le parti des "patriotes", aux côtés du futur Napoléon 1er et de Charles-André Pozzo di Borgo.
On se trouve donc à cet endroit devant un morceau de patrimoine doublement impressionnant : d'une part par son rôle stratégique dans l'indépendance des corses, et d'autre part par la beauté visuelle de ses vestiges.
Comme pour le Ponte Novu, les ruines du couvent ne sont pas seulement le fait du temps : il faut y voir l'œuvre destructrice des fascistes italiens qui firent exploser leur stock de munitions à l'approche des allemands, en septembre 1943. Un terrible gâchis.
Bien qu'il soit actuellement interdit d'y pénétrer - au risque d'être blessé(e) par des chutes de pierres - on peut quand même s'émerveiller, ou s'attrister, devant ses façades et sa tour envahies de végétation, végétation qui laisse encore apercevoir les armoiries et motifs religieux de l'époque...


Détour par les sources d'Orezza
Elles font la renommée de cette ancienne "pieve" (circonscription administrative d'autrefois) : les eaux d'Orezza, consommées depuis l'occupation romaine pour leurs nombreux bienfaits, et exploitées ponctuellement avant une reprise officielle en 2000, se dévoilent dans un écrin de maquis pour les visiteurs de passage.


Autant le dire tout de suite, on y reste 15 minutes, puis on repart. A voir sur place :
- la fontaine aménagée pour le public, teintée de "rouille", où vous pourrez boire un fond d'eau naturellement ferrugineuse (mais juste une gorgée vu le goût)
- les bâtiments de l'exploitation, rénovés en respectant l'architecture industrielle insulaire du 19ème siècle
- la source, jaillissant par secousses d'un petit puit accessible sous un porche
Cela ne mérite pas forcément un long trajet, mais une petite halte s'impose ici, tant l'eau d'Orezza fait partie du patrimoine de l'Ile de Beauté depuis l'Antiquité. Pensez à faire un saut à la boutique en face si vous souhaitez repartir avec quelques bouteilles gazeuses ou un tee-shirt souvenir.
Promenade de l'église de Carcheto à la cascade de la Struccia
Un peu par hasard, en naviguant dans Google Maps à la recherche de petits coins secrets, nous avons identifié un point d'intérêt inattendu à seulement 8 minutes en voiture des eaux d'Orezza : le village de Carchetu, avec son église du 17ème siècle classée monument historique et sa superbe cascade cachée dans le maquis, la "Cascata à a Struccia".
Une découverte un peu fortuite qui allait assurer le clou du spectacle de cette belle virée en Castagniccia...
Au passage, la route nous a fait traverser le très joli village de Pie d'Orezza et son voisin, plus connu, de Piedicroce, tous deux accrochés à flanc de montagne. Ici, les maisons de pierre grise se toisent silencieusement d'une crête à l'autre, à travers un cirque noyé de maquis.


Arrivés à l'entrée de Carchetu, il faut prendre la première à gauche pour descendre dans l'ancien village, jusqu'à une placette à proximité : c'est là que la très belle façade de l'église Sainte Marguerite capte le regard des passants. Les photos ci-dessus vous permettront de vous faire une idée de cette beauté très bien entretenue.
La visite - rapide - de l'église étant terminée, nous avons repris la voiture pour gagner quelques minutes de marche, et nous garer plus bas, près du cimetière du village. C'est là que le chemin de randonnée (très facile) débute, en direction de la "fontana di l'onda" et de la "cascata à a struccia".
Après 10 minutes de descente douce, sur un sol de terre recouvert d'un tapis de feuilles de châtaigniers (c'est la Castagniccia, n'est-ce-pas...), la cascade apparaît, plongeant d'une douzaine de mètres dans une belle piscine d'eau fraîche.

Une impression de bout du monde nous envahit alors, face à une telle splendeur, et on reste ici, émerveillé(e)s, à se réjouir d'avoir osé quitter les routes les plus touristiques de l'île pour tenter l'aventure dans les profondeurs de la Castagniccia...