Qu'ils l'aient fantasmée, comme Alexandre Dumas, traversée à dos d'âne, comme Mérimée, chroniquée pour des journaux... ou qu'ils soient enfants du pays, de nombreux écrivains ont participé à l'imaginaire autour de la Corse. Alors certes, notre époque ne connaît plus la vendetta ; et certaines traditions ne sont désormais plus que de l'ordre du folklore. Mais la littérature d'hier et d'aujourd'hui nous offre de grandes œuvres dans lesquelles nous plonger, chez soi ou en voyage en Corse, comme le firent certains intellectuels ou diplomates du passé.
Voici ma sélection de livres très personnelle et variée, pour vous immerger dans l'histoire et la culture de l'Ile de Beauté. Si vous pensez que d'autres livres et romans méritent de figurer dans cet article, dites-le moi en commentaire, avec vos impressions de lecture. Je m'y attarderai volontiers, n'ayant pas la prétention d'avoir tout lu.
Au sommaire- Chroniques Historiques de Corse (Élie Papadacci)
- Sampiero, Soldat du Roi et Rebelle Corse (Pierre Antonetti)
- Paoli, un corse des Lumières (Michel Vergé-Franceschi)
- Les Frères corses (Alexandre Dumas)
- Mal'Concilio (Jean-Claude Rogliano)
- Contes et légendes de Corse (Jean-Claude & Agnès Rogliano)
- Colomba (Prosper Mérimée)
- Banditi (Antoine Albertini)
- Thérèse Donati (John Antoine Nau)
- Orphelins de Dieu (Marc Biancarelli)
- La Terre des seigneurs (Gabriel-Xavier Culioli)
- L'Île des Seigneurs (Dominique et Nathalie Reznikoff)
- La Veuve blanche (Michèle Castelli)
Chroniques Historiques de Corse (Élie Papadacci)
Déjà auteur d'un livre d'histoire passionnant sur la fondation de la colonie grecque de Cargèse (Paomia) - dont ma famille descend directement d'ailleurs - Élie Papadacci, fin lettré et amoureux de l'héritage de son peuple, nous livre dans ces chroniques des morceaux choisis de l'histoire insulaire.
Il nous plonge ainsi dans les turpitudes du règne éphémère du roi de Corse Théodore 1er, dans les aventures extra-conjugales d'un officier français lors de la guerre d'indépendance corse, ou encore dans l'intimité du confident de Napoléon. Et pleins d'autres petites histoires dans la grande Histoire, qui nous font réaliser l'aspect rocambolesque de la vie de certains personnages historiques...
Ce livre n'est plus édité. Regardez donc du côté des occasions pour vous le procurer.
Sampiero, Soldat du Roi et Rebelle Corse (Pierre Antonetti)
Première biographie "officielle" de Sampiero Corse, libérateur des corses avant le célèbre Pasquale Paoli, ce livre retrace la vie de ce mercenaire-soldat insulaire qui a marqué l'histoire méditerranéenne du 16ème siècle.
Pour reprendre le synopsis, "Sampiero est un personnage haut en couleurs, très représentatif de son époque", qui n'a jamais cessé de reconquérir et libérer son île natale contre la République de Gênes. Sa légende a traversé le temps pour nous laisser l'image d'un guerrier intrépide et celle d'un assassin de Vanina d'Ornano, sa jeune épouse qui l'avait trahi pour des raisons un peu obscures...
Pierre Antonetti tente ici une reconstitution plus humaine, plus attachante, pour nous révéler les réalités de cette figure de proue de la résistance corse.
L'auteur a également publié un autre ouvrage important intitulé - tout simplement - Histoire de la Corse. A l'instar de Sampiero, ce livre n'est pas réédité et s'achète donc d'occasion sur les sites de vente en ligne.
Paoli, un corse des Lumières (Michel Vergé-Franceschi)
Célébré partout dans l'île, dans tous les arts insulaires, "u Sgiò Pasquale", "u Babbu di a Patria" incarne l'esprit d'indépendance et une partie marquante de l'histoire de Corse. En plus d'avoir libéré et dirigé la Corse indépendante pendant 15 ans, au 18ème siècle, Pascal Paoli est aussi le grand homme qui en inspira d'autres, et selon certains historiens, préfigura la célèbre Constitution Américaine grâce à la modernité et l'humanisme de la Constitution Corse et de son programme politique.
Dans cette biographie de Michel-Vergé Franceschi, c'est la trajectoire politique et philosophie de Paoli qui est reconstituée, tout comme le contexte de l'époque, avec ses aspirations libertaires. On y apprend beaucoup de choses sur les grandes influences corses, sur les coutumes insulaires, et bien évidemment sur la vie et l'impact de Pascal Paoli. Un incontournable si l'on veut comprendre l'Etat Corse et l'homme qui en fût le plus grand défenseur.
Les Frères corses (Alexandre Dumas)
Mettons les choses au clair tout de suite : Dumas ne s'est jamais rendu en Corse, alors qu'il projetait à de nombreuses reprises de le faire au cours de sa vie. Mais les chroniques de voyage de son époque, comme le roman phare de Mérimée, lui ont inspiré cette œuvre entre roman et nouvelle.
Dans Les Frères corses, Dumas imagine son séjour dans l'île, où il fait la rencontre d'un jeune notable du sartenais. Une étrange histoire se développe alors, teintée de fantastique : le jeune De Franchi, éloigné de son frère jumeau parti travailler à Paris, possède un don proche de la télépathie et de la voyance pour tout ce qui touche à sa famille.
Le récit de découpe en deux parties : la première en Corse, où l'on suit la résolution d'une vendetta entre deux familles locales ; la seconde à Paris, toujours sur le thème de la vengeance et de l'honneur, avec le second frère inévitablement embarqué dans un duel mortel. C'est là que la connexion spirituelle des jumeaux entre en scène.
Une lecture plaisante et rapide si vous aimez les romans du 19ème.
Mal'Concilio (Jean-Claude Rogliano)
Un fou, une romance adolescente, un village, une nature maléfique et des croyances populaires. Avec ces ingrédients, l'écrivain renommé en Corse nous propose un conte sombre devenu référence dans la littérature insulaire ; on l'étudie désormais au cours de notre scolarité.
Mal'Concilio, c'est l'arbre, le châtaigner planté à l'entrée d'un village, et que les habitants pensent maléfique. Il se dresse, géant immobile, au-dessus d'un jeune garçon que tous considèrent comme fou. Un fou qui étrangement va attirer l'intérêt de la plus jolie fille du village, Lesia, et provoquer sans le vouloir un conflit amoureux, lui, le paria, connaisseur des secrets de la nature corse...
Plongez-vous dans cette lecture si vous aimez le fantastique, les contes obscurs et le mystère.

Contes et légendes de Corse (Jean-Claude & Agnès Rogliano)
En Corse, croyances païennes et spiritualité chrétienne nourrissent l'imaginaire et la culture de ses habitants. Ainsi mazzeri (sorciers), ochju (l'oeil) et autres ogres ou fables d'autrefois peuplent les esprits, nomment des lieux et donnent une interprétation du monde et de ses phénomènes.
Dans le recueil Contes et légendes de Corse, les auteurs font le choix de regrouper plusieurs récits originaux et réinterprétés, toujours dans un style "merveilleux sombre" (pour reprendre l'interview menée par Corse Net Infos), style déjà imprégné dans le roman Mal'Concilio de Jean-Claude Rogliano.
Il existe évidemment plusieurs recueils de ce type, tant en éditions récentes que d'occasion, car la tradition orale et écrite corse est riche en histoires. N'hésitez pas à faire un tour sur eBay pour trouver votre bonheur.
Colomba (Prosper Mérimée)
C'est certainement l'œuvre la plus célèbre de toute cette liste, et qui plus est une lecture agréable (quoique caricaturale, il faut l'admettre) pour les amateurs de littérature classique sur fond d'aventure. Il s'agit d'ailleurs plus d'une nouvelle que d'un roman, initialement publiée dans l'une des éditions de La Revue des Deux Mondes, en 1840.
Contrairement à Dumas, dont je parlais plus haut, Prosper Mérimée a eu l'occasion de traverser la Corse en tant qu'inspecteur des monuments historiques, pour en faire une exploration historique et "ethnologique". C'est lors de son voyage dans l'île que Mérimée a eu l'idée d'écrire Colomba (après sa première nouvelle Mateo Falcone), en s'inspirant d'une vendetta réelle entre deux familles locales.
Si la nouvelle offre un bon plaisir de lecture et une plongée palpitantes dans les traditions et le decorum insulaires de l'époque, tenez compte du fait que l'auteur était resté sur un "imaginaire" sélectif et stéréotypé des us et coutumes corses. Comme le dit si bien le blog Corsica Mea, "son goût pour le pittoresque lui a fait caricaturer l'ensemble de notre société insulaire où selon lui, il n'y aurait que des bergers, des bandits (qui seraient bien sûr d'honneur) et des femmes toutes habillées de noir comme sa Colomba".
Banditi (Antoine Albertini)
Journaliste à France 3 Corse et au Monde, Antoine Albertini est l'un des auteurs corses les plus en vue à l'heure actuelle. Banditi est son dernier roman (précédé de Malamorte, si vous souhaitez aller plus loin et découvrir le personnage principal dans un autre récit).
On suit dans ce polar l'enquête Corse (loin de l'humour caricatural de la BD et du film éponymes) d'un ex-flic désabusé devenu détective, mandaté par le neveu d'un vieillard porté disparu. Le roman reprend des thèmes attendus pour l'île, tels que le nationalisme, la violence...
"Des coups de billard à trois bandes, des noms qui n'étaient pas toujours les bons, des petites mains du trafic jetées en taule et les caïds qui s'en sortaient souvent. Derrière chaque histoire de flingues et de came, derrière chaque assassinat et chaque trafic se dissimulaient des mobiles planqués sous d'autres mobiles, des prête-noms, des secrets et des pièges que couvrait une couche épaisse de rancœurs et de haines, de manœuvres, de silences et de rumeurs."
Thérèse Donati (John Antoine Nau)
En 1909, John-Antoine Nau embarque pour la Corse. Il en revient quelques années plus tard avec un roman, Thérèse Donati. L'écrivain, récompensé du prix Goncourt pour un autre roman en 1903, y dépeint la Corse et ses mœurs, une histoire d'amour tragique, mais aussi les traces visibles ou invisibles laissées par la Première Guerre Mondiale sur le peuple insulaire, dont la jeunesse ressortit décimée...
Contrairement à Mérimée qui eut des mots parfois peu élogieux sur la Corse, ou à Dumas qui ne s'y rendit jamais, Nau lui cherchait à incarner du mieux possible l'âme et le patrimoine de l'île et de ses habitants (il dira notamment à l'un de ses amis, tout envahi de l'effort et du désir d'appréhender vraiment la Corse, que son roman "est si peu corse, que j’en suis honteux").
Je vous invite à lire la critique très détaillée de MusaNostra.com. Le roman est difficile à trouver en version d'occasion, mais il est réédité par La Marge. Je regrette juste le peu d'effort accordé à la couverture...
Orphelins de Dieu (Marc Biancarelli)
Voilà un roman qui mérite votre attention, si vous êtes amateur/trice de road-movies sombres et d'histoires de vengeance, dans des paysages hostiles. Biancarelli nous plonge dans la Corse profonde et misérable du 19ème siècle, théâtre d'une épopée sanglante : une jeune fille, dont le frère a été défiguré et laissé pour mort par des bandits sans foi ni loi, fait appel à l'Infernu, sicaire corse d'un âge avancé. Le vieillard accepte cette (dernière ?) mission en révélant progressivement les origines de cette bande sanguinaire...
J'ai ma théorie sur ce pays. Je me dis que Dieu l'a choisi pour y expérimenter tout ce que les hommes sont capables de mettre en œuvre pour s'affronter et se détruire.
Ce roman sombre et intense fait la jonction entre la désintégration des "naziunali" de Pascal Paoli et la domination française, quand les gendarmes font la chasse aux anciens combattants corses devenus assassins, voleurs, loin de l'image des "bandits d'honneur" dont la Corse se targue. Cette Corse est pleine de brutalité, de désespoir, comme coincée dans un temps abandonné. A lire absolument.

La Terre des seigneurs (Gabriel-Xavier Culioli)
Le titre continue : "Un siècle dans la vie d'une famille corse". C'est bien un voyage dans le temps et dans les traditions familiales insulaires auquel Gabriel-Xavier Culioli nous invite, au fil d'une écriture agréable et captivante. On y découvre, dans un récit fleuve incarné par les différentes générations d'une grande famille de Corse-du-Sud, les changements et les mentalités, les faits divers, les légendes et les croyances, la brutalité latente de la société corse.
Pour certains libraires et intellectuels corses, La Terre des seigneurs est un peu la "Bible" des us et coutumes locales, une mémoire littéraire parfaitement aboutie. Toutes les valeurs de l'île y sont.
L'Île des Seigneurs (Dominique et Nathalie Reznikoff)
Sous-titré "Le roman de la Corse médiévale", ce livre entre aventure et romance tourmentée plonge le lecteur dans une époque lointaine de l'île. Alors que Pise et Gênes se disputent les régions de Corse, sur fond de conflit entre l'Empereur et le Pape, les grands barons de la Cinarca mènent une guerre sanglante qui provoquera une vendetta retentissant à travers plusieurs générations.
Très documenté, L'Île des Seigneurs nous révèle toute la brutalité et la grandeur d'une petite île et de ses habitants, meurtris par l'honneur et oppressés par des puissances étrangères. On tourne les pages sans pouvoir s'arrêter, pour voir le jeune Sinucello de la Rocca grandir dans la haine implacable de ses oncles, jusqu'au faîte de sa gloire pisane.

La Veuve blanche (Michèle Castelli)
La Veuve Blanche emmène le lecteur en Balagne, mais la Balagne du début du 18ème siècle, dans une Corse tourmentée, sous domination génoise. Le temps y est figé, engoncé dans la ruralité et les dangers omniprésents, intérieurs ou extérieurs (pirates barbaresques, mauvais sorts, rivalités entre bergers et paysans...).
Michèle Castelli raconte ici l'histoire de deux cousines, Fiordispina et Anghjulina, qui vont transgresser les règles sociales de leur communauté pour tenter d'échapper aux devoirs mortifères de la société insulaire de l'époque. Une histoire d'amour croisée parsemée de traditions, de superstitions, de langue corse et de l'éternelle vendetta qui lie (presque) toutes les œuvres romancées sur l'île.
Et pour conclure en sortant un peu du format roi du roman, je vous recommande la lecture de L'histoire du Nationalisme Corse, publiée en 2021 chez Dargaud.

Cette bande dessinée retrace l'essor et les aléas du nationalisme Corse, des évènements d'Aleria au dépôt des armes de l'armée de l'ombre insulaire. Les deux auteur(e)s-dessinateurs font le choix anachronique de traverser cette période récente de l'histoire insulaire sous le regard fantomatique du "babbu di a patria" (père de la patrie), Pasquale Paoli.
Bonne lecture et bon' viaghju.